Construction du soi en situation de handicap visuel : l’identifiction.

Jim Barachin

Direction de la thèse

La direction du projet est assurée par

Mme. Karine GROS, Maitre de conférence HDR, titulaire de la Chaire Handicap, Emploi et Santé au Travail, Université Paris-Est Créteil (UPEC) 

Contexte du projet

Ce travail de recherche propose d’explorer les potentialités épistémologiques et méthodologiques des études littéraires au sein du champ pluridisciplinaire des Disability Studies, champ qui s’attache à analyser le handicap dans ses dimensions sociales, culturelles, anthropologiques, psychologiques, économiques, et politiques. L’objectif principal de cette thèse est de démontrer la pertinence et la fécondité d’un croisement entre la littérature autobiographique et les approches issues des études du handicap, à travers une étude ciblée des récits de vie produits par des auteurs en situation de handicap, et plus particulièrement de déficience visuelle. 

Dans un premier temps, la recherche se concentrera sur un corpus d’autobiographies d’auteurs aveugles ou malvoyants, en interrogeant les spécificités formelles et thématiques de ces récits. Ce choix répond à un double constat : d’une part, la sous-représentation du handicap visuel dans les travaux littéraires contemporains relevant des Disability Studies ; d’autre part, la singularité de l’expérience sensorielle et cognitive associée à la cécité, qui rend ces récits particulièrement riches en termes de réflexion sur la perception, l’identité, le langage et la représentation de soi. 

Si certains travaux se sont déjà centrés sur la production littéraire d’auteurs déficients visuels, la présente étude entend approfondir la notion de témoignage dans ces récits, en prêtant une attention particulière aux intentions et aux fonctions de la prise de parole. Ces écrits peuvent en effet remplir des objectifs variés : informatifs, didactiques, politiques, mais également thérapeutiques. Il s’agira ainsi d’examiner dans quelle mesure ces autobiographies participent à une forme de réappropriation de l’identité par la narration, en lien notamment avec la notion d’identifiction, élaborée par Karine Gros (Maitre de Conférences HDR, UPEC), et que cette recherche ambitionne d’interroger dans le contexte spécifique du handicap visuel. 

Dans un second temps, cette étude propose de mettre en dialogue ces récits autobiographiques avec les principes de la médecine narrative (narrative medicine), concept développé au XXe siècle par des praticiens tels que Rita Charon. Cette approche prône l’intégration des récits de patients dans leur parcours de soin, dans l’objectif d’améliorer la qualité de la relation thérapeutique et de promouvoir une médecine plus humaine, fondée sur l’écoute empathique et la reconnaissance de la subjectivité du malade. La mise en parallèle de la médecine narrative avec les témoignages littéraires de personnes en situation de handicap visuel apparaît particulièrement heuristique : elle permet d’envisager ces textes non seulement comme objets esthétiques ou socioculturels, mais également comme dispositifs de soin symbolique, à la fois pour l’auteur et, potentiellement, pour le lecteur. 

Deux axes d’analyse seront dès lors privilégiés. Le premier concerne la valeur thérapeutique de l’écriture autobiographique pour les auteurs eux-mêmes, en tant que processus de subjectivation et d’appropriation d’un événement corporel potentiellement traumatique. Le second interroge les modalités de (dé)construction/reconstruction de l’identité narrative du sujet en situation de handicap, à travers la dynamique complexe de la représentation de soi, de l’identifiction, du stigmate et de l’émancipation. Le témoignage devient alors un lieu de reconfiguration identitaire, visant parfois une meilleure acceptation de la déficience, et, dans certains cas, en vue d’une réinsertion professionnelle ou sociale. 

Enfin, au-delà de ses apports théoriques, cette recherche ambitionne de déboucher sur des applications concrètes, en concevant une méthodologie innovante d’ateliers d’écriture narrative à destination des entreprises et des organismes publics. Inspirés à la fois des modèles de la médecine narrative et des dynamiques de reconnaissance identitaire issues des récits de handicap, ces ateliers viseraient à aborder des thématiques relevant de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), telles que le handicap, la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), ou encore la gestion du stress et la prévention et gestion des conflits en milieu professionnel. Ces espaces de narration guidée offriront ainsi un cadre propice à l’expression individuelle et collective, à la médiation, à l’inclusion et à la transformation des représentations, dans une perspective de mieux-être au travail et de cohésion organisationnelle. 

Le corpus retenu regroupe des œuvres d’auteurs de renommées et d’aires géographiques diverses, parmi lesquels Helen Keller, Jacques Lusseyran, John Hull, Jorge Luis Borges ou encore James Joyce. Ces textes seront abordés dans une perspective comparative et interdisciplinaire, mobilisant les apports croisés de la théorie littéraire, de la narratologie, des Disability Studies et des sciences humaines de la santé. Ce travail espère ainsi contribuer à une meilleure compréhension des liens entre narration, handicap et subjectivité, tout en ouvrant de nouvelles pistes pour penser la littérature comme espace de résistance, de reconstruction et de soin. 

Bibliographie