Neurobiologie du Trouble Obsessionnel Compulsif

NEUROBIOLOGIE DU TROUBLE OBSESSIONNEL COMPULSIF

Dans le cadre de son axe 3 « Santé, qualité de vie au travail », la Chaire Handicap, Emploi et Santé au travail de l’UPEC a pour ambition de mener des projets de recherche sur le handicap psychique notamment sur les Troubles Obsessionnels Compulsifs.

L’Organisation Mondiale de la Santé classe en effet le TOC comme l’un des dix troubles de santé mentale les plus invalidants (World Health Organization [WHO]. International Classification of Functioning (ICF). Disability and health, WHO library, Geneva (2001)). Bien que le handicap associé au trouble soit reconnu depuis de nombreuses années (Markarian Y, Larson MJ, Aldea MA, Baldwin SA, Good D, Berkeljon A, Murphy TK, Storch EA, McKay D. Multiple pathways to functional impairment in obsessive-compulsive disorder. Clin Psychol Rev. 2010 Feb;30(1):78-88.), les recherches axées sur ses déterminants, ses conséquences et ses compensations possibles restent insuffisantes.
La prise en charge des TOC sévères est basée sur des traitements, pharmacologiques et/ou psychothérapeutiques, dont l’efficacité est aujourd’hui bien établie ; cependant ils ne permettent pas, dans environ 30% des cas, de supprimer suffisamment l’impact des symptômes sur le fonctionnement personnel, familial et professionnel des personnes concernées. Ces réalités imposent de poursuivre des travaux de recherche fondamentale et clinique sur cette pathologie fréquente et souvent hautement handicapante, notamment dans un milieu professionnel.

C’est cet objectif que poursuit depuis de nombreuses années, au sein de l’UPEC et des Hôpitaux Universitaires Henri-Mondor, l’équipe de psychiatrie des Professeurs Pelissolo et Mallet, en collaboration avec l’Institut du Cerveau. Cette équipe a notamment étudié des solutions d’assistance technologique, en collaboration avec des professionnels, des patients et leurs proches, pour réduire le handicap lié au TOC sévère (programmes DOMOTOC et EQUOSMART).
D’autres de leurs travaux ont montré l’impact des symptômes de vérification compulsive et répétée (souvent plusieurs heures par jour) sur le fonctionnement, notamment professionnel, des personnes concernées. En parallèle, cette équipe a mené de nombreuses explorations neuroscientifiques de ces phénomènes de vérification pathologique, afin d’en comprendre les déterminants neuronaux et les moyens de les combattre.
Le service de psychiatrie des HU Henri-Mondor/Albert-Chenevier dispose par ailleurs d’une renommée internationale dans la prise en charge des personnes souffrant de TOC sévère et invalidant, avec le développement de nombreuses techniques de traitement innovant (stimulation cérébrale profonde notamment).

Responsable de la recherche

Dr Ghassene BOUKHARI, interne en psychiatrie inscrit dans un double parcours de formation médicale et scientifique et menant un projet de recherche sur la neurobiologie du TOC dans le cadre d’un Master 2, sous la direction des Prs Mallet et Pelissolo.

Le projet de recherche qui sera mené par le Dr Ghassene BOUKHARI comportera deux volets complémentaires :

  • l’un axé sur la compréhension des phénomènes de vérification avec une exploration d’imagerie cérébrale fonctionnelle
  • et l’autre visant à établir, au sein d’un groupe de personnes souffrant de TOC, l’impact de la pathologie sur leur adaptation professionnelle (et les déterminants de celle-ci) dans le but de faciliter l’accès au, et le maintien, dans l’emploi.

Ces deux axes, s’appuyant sur les travaux préalables de l’équipe de recherche, permettra de proposer des solutions, comportementales et/ou technologiques, d’aide aux personnes souffrant de TOC en milieu professionnel.

DESCRIPTION DU PROJET DE RECHERCHE NEURO-SCIENTIFIQUE

Corrélats cérébraux du trouble obsessionnel-compulsif :
Étude des compulsions de vérification en IRM fonctionnelle

INTRODUCTION

Le Trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est un trouble mental sévère caractérisé par des pensées obsessionnelles et/ou des comportements compulsifs à différents degrés. Il peut parfois être sévère et invalidant et évoluer sur un mode chronique. Les pharmacothérapies et les psychothérapies indiquées dans le TOC sont encore souvent insuffisantes, ce qui dénote d’un besoin de thérapies plus ciblées dont le développement nécessiterait une meilleure compréhension de la physiopathologie de ce trouble. Les vérifications sont un des types les plus fréquents de compulsions observées chez les personnes suivies pour TOC.
Il ne s’agit pas d’un comportement dont la nature même est pathologique, mais c’est la répétition et l’intensité de l’anxiété qui l’accompagne qui en font un comportement inadapté. Les vérifications ne se font donc pas une mais plusieurs fois, de façon très rapprochée et quotidienne, leur rétention représentant un effort décrit comme insurmontable (lutte anxieuse, égodystonie) par les patients lorsqu’ils ne bénéficient pas d’un accompagnement psychothérapique.
Les compulsions observées dans le TOC, souvent liées à des pensées obsédantes, ont fait l’objet de nombreuses investigations sur le plan sémiologique, cognitivo-comportemental et plus récemment neurobiologique. Néanmoins, la genèse de ces comportements et leur redondance pathologique, ainsi que leurs corrélats cortico-sous-corticaux ne sont pas encore élucidés. Par ailleurs, il est possible de progresser dans la compréhension des mécanismes sous-tendant le comportement compulsif en observant, provoquant ou diminuant à titre expérimental les symptômes du TOC. C’est afin de progresser dans la compréhension des processus neurobiologiques sous-jacents aux comportements compulsifs que nous proposons ce travail, en s’appuyant sur une tâche de provocation expérimentale de comportements de vérification et validée dans des populations cliniques au cours de travaux antérieurs [1, 2], et déjà utilisée lors d’investigations neurophysiologiques [3] et en neuro-imagerie fonctionnelle [4].

Les données en neuro-imagerie fonctionnelle actuellement disponibles sont essentiellement issues de mesures effectuées soit au repos soit dans des conditions de simple exposition à des stimuli anxiogènes [5], soit dans des tâches comportementales ne portant pas directement sur les compulsions per se [6]. Bien que parcellaires, ces données suggèrent la présence d’anomalies fonctionnelles dans les circuits cortico-striato-thalamo-corticaux (CSTC) [7] chez ces patients.
Par ailleurs, l’implication des structures sous-corticales a été montrée dans une population de patients avec TOC sévère et résistant, au moyen de cette tâche de vérification, en mettant notamment en évidence le rôle de neurones du noyau sous-thalamique dans une phase de décision lors de l’exécution de la tâche, soulignant l’intérêt à explorer les réseaux sous-corticaux dans la physiopathologie de la vérification pathologique [3].
En outre, l’unique étude utilisant une tâche de vérification analogue à la tâche employée dans le présent projet suggère un déficit de l’adaptation comportementale lors de comportements de vérification, lequel serait médié par une hyperactivation orbito-frontale. À ce jour, nous n’avons pas connaissance de publications antérieures ayant spécifiquement étudié en neuro-imagerie fonctionnelle les compulsions, en les ayant comparés à des contrôles sains en particulier dans une situation de rétention de ces comportements.

HYPOTHÈSES

  • Présence de dysfonctions cortico-sous-corticales au moment de l’exécution et de la régulation comportementale (rétention) des compulsions chez les patients vs. contrôles sains
  • Implication des noyaux gris centraux et des aires corticales frontales dans l’expression de ces compulsions

OBJECTIFS

Sur une base de données cliniques et de neuro-imagerie recueillies mais non encore exploitées et publiées, nous prévoyons de :

  • mettre en évidence les corrélats neuronaux associés à l’expression des compulsions de vérification chez les patients atteints de TOC
  • comparer l’expression et l’inhibition des compulsions de vérification chez les patients vs. contrôles sains
  • repérer les circuits neuronaux cortico-sous-corticaux en cause dans l’initiation, le maintien et l’achèvement de ces compulsions de vérification selon le contexte comportemental

MATÉRIEL ET MÉTHODES

(Les données cliniques et de neuro-imagerie étant déjà recueillies, les étapes 1 à 5 de la méthodologie sont déjà accomplies à ce jour)

  1. Mise au point et validation d’une tâche cognitive pouvant représenter un modèle expérimental des compulsions de vérification ; cette tâche doit être cliniquement pertinente et adaptable en neuro-imagerie, afin d’étudier l’activité cérébrale sous-tendant ces compulsions.
  2. Adaptation de la tâche de vérification en IRM fonctionnelle (IRMf). Le recours à l’IRMf nous permettra d’observer les réseaux neuronaux liés à la compulsion de vérification en s’intéressant aux zones corticales et aux noyaux gris centraux.
  3. Inclusion de 14 patients souffrant d’un TOC selon les critères du DSM-5-TR et appariement à 14 sujets contrôles sains selon l’âge, le sexe, et le niveau d’instruction.
  4. Évaluation psychométrique (Y-BOCS, inventaire de Padoue, HAD, STAI-B)
  5. Acquisition des données en IRMf, prétraitement des données d’imagerie
  6. Analyses des données :
    1. pour la décision de vérifier et à l’exécution des compulsions de vérification chez les patients vs. contrôles sains
    2. pour l’activité cérébrale associée à la rétention de comportements de vérification chez les patients
    3. pour l’activité cérébrale associée au traitement du feedback associé à la décision de vérifier ou non chez les patients vs. contrôles sains
    4. pour la recherche de corrélations entre le degré d’hyper/hypoactivation de certaines régions cérébrales et les scores cliniques.

NB : Hors des régions d’intérêt préalablement mentionnées, la recherche exploratoire (whole-brain) des potentiels corrélats neuro-fonctionnels sera contrôlée par une mesure du false discovery rate pour limiter le risque de type 1 (problème des comparaisons multiples).

PERSPECTIVES

Après analyse des données et synthèse des conclusions de notre étude, nous souhaitons contribuer à une meilleure compréhension des mécanismes neurobiologiques contribuant à l’expression et à l’inhibition des compulsions de vérification dans le TOC, notamment au sein des circuits corticaux-sous-corticaux. Nous envisageons de publier nos résultats dans une revue scientifique internationale, étant donné l’intérêt du sujet et la méthodologie inédite de notre travail.

À moyen et long terme, en permettant une meilleure connaissance de la physiopathologie du TOC, notre étude pourrait contribuer à la mise en place de traitements innovants, psychothérapeutiques, psychotropes, ou par différentes techniques de stimulation ciblant spécifiquement les circuits neuronaux et les voies impliquées dans les compulsions chez ces patients.

RÉFÉRENCES

[1] Rotge JY, Clair AH, Jaafari N, et al. A challenging task for assessment of checking behaviors in obsessive–compulsive disorder. Acta Psychiatr Scand 2008; 117: 465–473.

[2] Clair A-H, N’Diaye K, Baroukh T, et al. Excessive checking for non-anxiogenic stimuli in obsessive-compulsive disorder. Eur Psychiatry 2013; 28: 507–513.

[3] Burbaud P, Clair A-H, Langbour N, et al. Neuronal activity correlated with checking behaviour in the subthalamic nucleus of patients with obsessive–compulsive disorder. Brain 2013; 136: 304–317.

[4] Rotge J-Y, Langbour N, Dilharreguy B, et al. Contextual and behavioral influences on uncertainty in obsessive-compulsive disorder. Cortex 2015; 62: 1–10.

[5] Morgiève M, N’Diaye K, Haynes WIA, et al. Dynamics of psychotherapy-related cerebral haemodynamic changes in obsessive compulsive disorder using a personalized exposure task in functional magnetic resonance imaging. Psychol Med 2014; 44: 1461–1473.

[6] van den Heuvel OA, van Wingen G, Soriano-Mas C, et al. Brain circuitry of compulsivity. Eur Neuropsychopharmacol 2016; 26: 810–827.

[7] Boedhoe PSW, Schmaal L, Abe Y, et al. Distinct Subcortical Volume Alterations in Pediatric and Adult OCD: A Worldwide Meta- and Mega-Analysis. Am J Psychiatry 2017; 174: 60–69.